Retour sur OctoGônes, la convention du jeu et de l'imaginaire

Publié par Jean-Charles Deuil, le 24 octobre 2024   210

En me rendant pour la première fois à la convention OctoGônes, je m'attendais à assister à quelques conférences, jouer à un jeu et peut-être découvrir un nouveau petit truc. J'avais raison. Juste un petit détail, je n'avais pas les bonnes quantités. Laissez moi vous narrer mon week-end lyonnais (villeurbannais) et comment cette convention a surclassé toutes mes attentes.

OctoGônes, c'est quoi cette convention ?

Tout commence par l'appel d'un ami (à ne pas confondre avec l'appel à un ami, qui peut vous faire gagner un million d'euros). Il me propose de l'accompagner à un salon du jeu et de l'imaginaire, le premier week-end d'octobre. Mais pas du jeu vidéo, hein ! Du jeu de plateau, de rôle, de cartes ou de figurines. OctoGônes quoi. Ayant dû décliner la proposition l'an passé, cette fois, ce sera avec plaisir ! Alors petit à petit, et à l'approche de ce fameux week-end, je vais piocher quelques informations sur le site et sur les réseaux pour réellement savoir ce qu'est le festival créé en 2010. Je me rends d'ailleurs compte à ce moment là, que pour le médiateur scientifique que je suis et pour notre communauté Echosciences, l'intérêt de se rendre à Lyon à cette date là est réel.

Ismaël Arnou est le président de FAJIRA (La Fédération des Acteurs du Jeux et de l’Imaginaire Rhône-Alpes) qui est un collectif de plein d'assos gravitant autour de toutes ces thématiques de jeu. Il m'a accordé quelques instants par rapport à l'évolution d'OctoGônes et je l'en remercie grandement pour ça (en plus de l'accréditation qu'il m'a accordée).

En 2010 donc, la première édition du festival a réuni environ un millier de personnes à l'espace Tête d'Or, vraiment pas mal pour cette thématique qui n'avait pas la même portée qu'aujourd'hui. C'était déjà la convention du Jeu et de l'Imaginaire avec plusieurs acteurs professionnels ou amateurs de jeux divers. Aujourd'hui, ce salon est la référence nationale du jeu de rôle et de figurines et après avoir zigzagué entre les dizaines et dizaines de tables toutes occupées non stop pendant ces trois jours, je n'irai pas contredire cette affirmation (voir photo ci-dessus). Depuis 2015, le lieu a changé. C'est désormais au Double-Mixte que je me suis rendu, 10 000 m² d'espaces modulables, parfait pour une telle convention. De trois-quarts d'un étage en 2015 aux 10 000 m² cette année, le festival s'est vraiment développé et je me demande même si la FAJIRA ne songe pas à trouver un lieu plus grand pour les prochaines années. J'ai été impressionné par le nombre de visiteurs durant ces trois jours et nul doute que le précédent record de 12 000 amateurs de jeux en 2023 aura été battu cette année. Je tiens à féliciter toute l'équipe organisatrice ainsi que l'armée de bénévoles (plus de 500 !) qui ont tenu la baraque tout le week-end sans le moindre couac. Allez, si, il y a un micro qui fonctionnait mal en salle de conférence et le café n'était pas assez cher (ah ben non, ça c'est super en fait). Autant de bénévoles, ça parait disproportionné. Il faut que je vous explique pourquoi.

Alors que je fignolais au mieux mon programme dans le salon, je me suis retrouvé à pester ne trouvant pas l'horaire d'ouverture le samedi et le dimanche. 9h ? 10h ? Et là, l'air de rien, mon ami qui me reprend "Ah non mais ça ne ferme pas la nuit, c'est en continu". QUOI ? Comment ça ? Mais c'est incroyable, ça veut dire que si on veut commencer une partie de Risk, de Trône de fer ou un jeu de rôle à 22h, on peut tranquillement terminer à 7h du mat' tout en étant ravitaillé à tout moment de la nuit par l'équipe qui se relaie sur les différentes buvettes ? Honnêtement, je suis resté sage cette année mais la prochaine fois, promis, je jouerai jusqu'à pas d'heure.

Bon, ça fait de bonnes raisons d'avoir un nombre de visiteurs en progression tout ça, mais à vrai dire, ça fait depuis le début que c'est ouvert non stop. il est temps de rentrer dans le vif du sujet et de la raison qui m'a amené à demander une accréditation : Pourquoi un tel engouement aujourd'hui autour du jeu ? Pourquoi le mot "ludique" est-il à la mode ?

L'évolution du jeu et des médias ludiques

Fin des années 90, début 2000, les geeks foisonnent mais n'ont pas vraiment la cote. Le profil type : un joueur masculin, barricadé dans sa chambre à jouer aux jeux vidéo, sans prendre le temps de se doucher. Mais aussi ce groupe d'amis (tous geeks forcément) qui se réunit tous les mercredis soir autour d'une table à faire une partie de Donjons & Dragons. Et lorsqu'ils ne se retrouvent pas IRL (in real life, dans la vie réelle) c'est sur les forums que les spécialistes continuent à échanger sur leurs jeux préférés.

Cet échange bourré d'acronymes obscurs ou d'un vocabulaire étranger aux non initiés est issu du forum Tric Trac, qui restera un des sites références francophones en terme jeux de société (si ce n'est LA référence), j'y reviens dans un instant.

Ces clichés ont la vie dure mais heureusement en 2024, cette image s'estompe et à juste titre. Selon le site gusandco.net, entre 2022 et 2023, le chiffre d'affaires pour l'industrie des jeux de société a augmenté de 2.93M$ à 3.63M$ soit une progression de 24% ! C'est particulièrement vrai aux États-Unis, mais la France n'est pas en reste avec une croissance à deux chiffres depuis plusieurs années maintenant (creerunjeudesociete.com, europe1.fr). La pratique du jeu de plateau s'est vraiment répandue partout et on y joue en famille, entre amis, seul ou bien avec des inconnus mais qui partagent la même passion.

La première conférence du salon s'intitulait "les médias ludiques - de Tric Trac à Tiktok". Autant vous dire que nous sommes en plein dans le thème. Et effectivement, là où les médias ont toujours été utilisés pour partager des connaissances et des passions autour du jeu, on est tout de même passé de quelques utilisateurs sur deux ou trois forums à des vidéos parlant de jeux qui amassent des millions de vues sur Instagram et Tiktok. Aujourd'hui, tous les formats sont possibles et trouvables. Vous avez vu un short (comprendre une vidéo courte) sur un jeu qui vous intéresse mais vous voulez approfondir ? Il existe probablement des vidéos tutoriels sur le jeu en question sur Youtube. Vous voulez un avis écrit sur un jeu de cartes à collectionner ? Vous trouverez plusieurs articles de presse écrite sur le web. Vous voulez tester un jeu avant de l'acheter ? Vous avez de grandes chances de le trouver sur la plateforme (en grande partie gratuite) boardgamearena.com rendue populaire notamment pendant les confinements (Lire ici).

Beaucoup de nouveaux joueurs se sont retrouvés à jouer sans chercher à le faire. La tendance aujourd'hui est de se regrouper autour d'une personnalité (créatrice de contenus) ou plusieurs et de suivre leurs propres tendances. Vous faites alors partie d'une communauté et vous interagissez avec, vous vous faites influencez, la vie tout simplement.

L'essor des jeux de société, des jeux de rôle ou de figurine est bien plus grandissant que celui des jeux vidéo aujourd'hui, si bien qu'il pourrait le rattraper d'ici quelques années. Et à l'heure du tout numérique, un support papier, cartonné, physique représente une bouffée d'air frais pour de nombreux parents, enfants et... enseignants.

Le jeu de rôle et le Serious Game, quelle classe ! 

Sur le salon, j'ai cherché des serious game, ces jeux sérieux dont le but est autant d'apprendre sur un thème visé que de s'amuser (l'importance des ressorts ludiques). Je n'en ai pas trouvé. Non pas qu'il n'y en avait pas, mais parce que je me suis retourné sur deux autres découvertes : un jeu de société révélé l'an passé au salon et auréolé du prix OctoGônes dans la catégorie "Jeux experts" ainsi qu'une interview d'un auteur de jeux de société, jeux de rôle et surtout, serious game.

Cette première découverte, c'est le jeu Biotopes, créé par Sébastien Castano et illustré par Alizée Favier. Ce jeu, avec des mécaniques assez poussés (il ne mérite pas pour rien sa catégorie experts), m'a marqué surtout par ses supports : j'ai eu dans la main à tour de rôle des cartes d'espaces naturels et d'animaux, en me rendant compte que chaque interaction entre ces cartes était réfléchie d'un point de vue scientifique. Même si le but premier est de comprendre les mécaniques et de marquer le plus de points possibles, j'ai tout de suite pensé à comment utiliser un tel jeu pour des ateliers avec des scolaires ou des étudiants. Coïncidence ou destin tracé, l'éditeur du jeu, Palladis Game, était présent sur le salon. Sans savoir qui il était, j'ai même pu discuter avec un de ses fondateurs, Josselin Moreau, qui m'a dit la phrase suivante : "Je sais qu'une enseignante a utilisé ce jeu comme support de cours à ses élèves". Bingo. De plus, en consultant leur site internet, je me rends compte que Palladis Game est une maison d'édition soucieuse de son environnement et travaillant à partir d'une approche durable. Je vous invite fortement à consulter leur site.

La seconde découverte qui m'a permis de mieux comprendre ce qu'est un serious game, c'est la rencontre de Bastien Wauthoz, fondateur d'Acritarche, créateur de jeux (de rôle, de serious game), théoricien du jeu et surtout, géologue ! (bon ok, c'est surtout sur moi que ça fait effet ce titre). En plus de sa propre société, il travaille pour Eurospace Center, en Belgique, où il vient d'ailleurs de terminer un jeu de rôle à destination d'enfants sur le thème de la cybersécurité. Ainsi, sur des métiers qui prennent de plus en plus d'importance, les enfants qui testent le jeu auront déjà une idée de ce qui les attend dans ce domaine. Photos à l'appui, Bastien m'a expliqué dans le détail la pédagogie de son jeu puis la grande part de ludique accordée pour garder concentrés et impliqués les différents publics. Cartes à piocher, pouvoirs à activer, coopération entre joueurs, tout est réuni pour que les différentes tranches d'âge puissent apprendre ensemble sans avoir l'air de travailler. Chers collègues médiateurs, professeurs, acteurs culturels, je vous invite à vous renseigner sur ce type de supports pédagogiques, si ce n'est pas déjà fait. Écrivez moi si vous avez des questions et j'essaierai de vous guider au mieux.

Bastien m'a aussi ouvert les yeux sur la manière de créer un jeu. Parce que présenté comme ça, tout a l'air simple. La réalité c'est que tout le monde peut créer un jeu, mais tout le monde ne peut pas créer un bon jeu (y compris pour les serious game où bien souvent la partie sérieuse empiète trop largement sur la partie ludique). Voici donc les conseils principaux qu'il m'a donnés : Jouez chaque semaine à un jeu différent pour à terme, comprendre un maximum de mécaniques. Lisez des bouquins sur le game design (une très vaste partie du game design d'un jeu vidéo peut aussi s'appliquer à un jeu de plateau), pensez à créer des règles intuitives pour un serious game basé sur le "j'apprends au fur et à mesure que je joue" (learn as you play in english), et surtout son plus grand conseil est de "testez, testez, testez et re-testez. Et quand vous avez fini, testez encore". En bref, enrichir sa culture ludique est capital pour créer un bon jeu, un bon serious game car les connaissances scientifiques, vous les aurez (de votre poche ou grâce à des chercheurs, des ingénieurs, etc.) mais les connaissances ludiques, elles, s'acquièrent sur le tas.

Je pourrais dire exactement la même chose de l'éloquence. Ce qui nous amène au sujet du jeu de rôle. Sujet de niche me direz vous, mais qui cache en réalité plusieurs catégories dont je suis sûr que vous en connaissez certaines. Quand on pense jeu de rôle, on imagine ces joueuses et joueurs regroupés autour d'une table et d'un MJ (maître du jeu) qui fait avancer la partie en fonction des joueurs, de leurs personnages et de leurs jets de dés. Vous n'avez donc jamais fait de jeu de rôle pour la plupart. Mais peut-être avez vous participé à une murder party, une reconstitution historique (vous étiez soldate dans une armée napoléonienne) ou vous avez tout simplement joué à des RPG (role playing game) sur votre Playstation® ou GameBoy®. Si oui, vous avez joué à un jeu de rôle. Stricto sensu, on ne se limite pas à une table et à partir de là, cela devient intéressant pour une classe ou un groupe d'élèves.

Vous avez organisé un débat dans votre classe avec des rôles précis pour vos élèves ? C'est une parfaite introduction au jeu de rôle. Et cela va avec ses vertus : coopération, réflexion, prise de parole, éloquence, argumentation, imagination, créativité, et cætera, et cætera. Avec une classe d'une quinzaine d'élèves ou par groupes de cette envergure, permettre à vos élèves d'endosser un rôle leur permettra d'en apprendre plus sur ce rôle et donc le thème pédagogique abordé, et aussi aider les plus timides à se manifester comme le fait si bien le théâtre encore aujourd'hui. Je vous invite également à vous rapprocher d'une association locale qui propose des jeux de rôle si cela correspond à vos envies, n'hésitez pas à franchir le pas. Pour ma part, je remercie Olivier Larue, de Vltima Verba (prononcez à la latine), qui a répondu à mes questions après sa très intéressante conférence sur l'éloquence au service du jeu.

Arts & Sciences, ce n'est pas un oxymore

Avec les jeux, toute notion de pédagogie ou presque peut être abordée. Toutes les matières aussi. Et donc proposer des jeux interdisciplinaires mélangeant des matières scientifiques et littéraires. La frontière est parfois fine, mais l'enseigner aux élèves reste une épreuve plus délicate. Et l'apport est souvent très bénéfique, dans le but de décloisonner tous les préjugés autour des sciences, des stéréotypes de genre et de tout le reste.

La dernière conférence à laquelle j'ai assisté en est un parfait exemple. "L'Antarctique, voyage au bout du monde". Rien de plus. Longtemps je me suis posé la question du rapport avec le jeu, avec les sciences, avec la littérature et tout l'imaginaire qu'on peut se poser avec ce continent si peu connu. Finalement c'était sur le côté Imaginaire de la convention qu'il fallait s'attarder. Devant le public se tenait Jean Krug, écrivain et glaciologue, qui nous a conté un morceau d'histoire de l'exploration de l'Antarctique tout en faisant le parallèle avec son vécu de guide polaire. Il a su jongler entre des moments de pure fiction avec des intrigues de romans comme La nuit des temps de Barjavel à des instants bien plus terre à terre avec l'explication de la fonte plus rapide des glaces en bordure de calotte glaciaire. Mais tout comme le jongleur fait passer ses balles d'une main à l'autre, Jean a mélangé tous ces domaines avec brio et m'a fait me poser de nombreuses questions, exactement le résultat que je cherche quand j'interviens en classe ou devant un public. Le mélange Arts et Sciences est tellement porteur et merci au festival de me l'avoir rappelé. Merci aussi à Jean pour sa disponibilité.

J'en profite d'ailleurs pour remercier tous ceux qui m'ont accordé un peu de temps mais que je n'ai pas cité dans cet article déjà beaucoup trop long. Guillaume et Tatiana, les parrain et marraine du prix OctoGônes 2024, Audrey et Pierre, l'illustratrice et l'auteur du jeu Sierra, Guillaume Jentey ainsi que toutes les personnes des associations et magasins qui m'ont renseigné, aidé et conseillé.

Je pense que vous l'aurez compris à travers cet article, je ne me suis pas ennuyé une seconde lors de mon week-end OctoGônal et je remercie encore mon ami de m'avoir proposé de l'accompagner. En tant qu'auvergnat, le déplacement n'est pas trop long et en vaut bien la peine, n'hésitez pas l'année prochaine à vous rendre du côté de Villeurbanne pour la 15e édition de la convention. Si vous cherchez de nouvelles idées pour vos cours, vos ateliers ou tout simplement vos loisirs, foncez. Merci OctoGônes.

Pour me contacter :

Jean-Charles Deuil, fondateur et médiateur scientifique chez Oscito.

contact@oscito.fr

07 62 40 49 41