Des microplastiques dans le foie des anchois
Publié par Journal Décoder, le 4 novembre 2020 1.5k
France Collard1 (chercheuse) et la classe de l’option sciences du collège Albert Camus de Mr Baron et Mr Missonnier2 (la liste des élèves est mentionnée en fin d’article)
Article original/Original article: F. Collard,B. Gilbert, P. Compère,G. Eppe, K. Das, T. Jauniaux &E. Parmentier (2017), Microplastics in liver of Euopean anchovies (Engraulis encrasicolus, L.), Environmental pollution, 229, 1000-1005.
Institution : 1Norwegian Polar Institute, Fram Centre, 9296-Tromsø, Norway
2Collège Albert Camus, 1 rue du sous-marin Casabianca, 63000 Clermont-Ferrand
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Résumé :
Cet article a été rédigé par 3 élèves de l’option sciences du collège Albert Camus à partir du document original proposé par France Collard.
Ces élèves se sont donc intéressés à la pollution aux microplastiques qu’il est possible de retrouver dans le foie de poissons sauvages et que nous avons l’habitude de retrouver sur nos étals.
Au cours de cette réécriture mais aussi lors d’un entretien à distance, les élèves ont appris que certains polluants plastiques se retrouvaient dans des organes autres que le foie. Ce qui suscite de nombreuses interrogations de la part de la chercheuse.
Il est intéressant de constater tout le process expérimental développé par France Collard afin de mener à bien ses observations sur les tissus qu’elle a pu recueillir au cours d’une campagne de pêche scientifique de l’IFREMER.
Mots clés : pollution ; microplastiques ; poissons ; polyéthylène
I Introduction
Au cours de cette étude effectuée en 2016 les scientifiques essaient de prouver la présence de microplastiques (MP) dans les foies d’anchois notamment et de montrer que cette pollution a des impacts sur les poissons.
La production industrielle de plastiques a débuté aux alentours des années 1950. Une grande quantité de plastiques a été produite et des microplastiques qui en sont issus se retrouvent désormais à différents endroits du milieu marin : sédiments*(voir lexique en fin d’article), plages, eau et organismes.
Avec le temps et la dégradation dans le milieu aquatique, les matériaux plastiques se séparent en particules de très petite taille. Ces plastiques sont autrement appelés microplastiques (MP) ou même nanoplastiques si leur taille est respectivement égale à 5mm ou 1 µm*. Des mammifères mais aussi des poissons peuvent avaler des MP (lorsqu’ils consomment du zooplancton par exemple). Ces MP sont éliminés en partie mais peuvent aussi avoir une durée de rétention dans l’organisme plus importante. Ainsi, ces particules peuvent être transloquées* dans différents organes, comme les branchies ou même les organes génitaux (c’est le cas par exemple chez le crabe Uca rapax).
Par rapport aux poissons, des études ont prouvé que les MP se déplacent vers le foie et les gonades*. Les impacts de ces déplacements sont peu connus et proviennent souvent d’études qui utilisent une concentration en MP bien supérieure aux conditions environnementales habituelles (dans des aquariums de laboratoires). Néanmoins des atteintes à certains organes comme l’intestin et le foie ont été observées après une exposition à ces MP. Le travail présenté ici s’intéresse aux foies de 3 espèces de poissons sauvages que l’on peut trouver dans les commerces.
II Matériel et méthodes
3 espèces de poissons différentes ont été pêchées :
– 13 anchois (Engraulis encrasicolus) prélevés en mer Méditerranée en juillet 2013.
– 2 harengs (Clupea harengus) prélevés en mer du Nord en 2013 et dans la Manche en 2014.
– 2 sardines (Sardina pilchardus) prélevées dans la Manche en 2014.
L’échantillonnage a été réalisé lors de campagnes de pêche organisées par l’IFREMER*.
A peine pêchés, les poissons ont été disséqués puis leurs foies directement congelés.
Pour éviter la contamination pendant le traitement des échantillons, un processus strict a été appliqué (par exemple les matériaux utilisés et les espaces de travail ont été nettoyés et rincés avec de l’éthanol).
Afin d’évaluer cette éventuelle contamination, des blancs procéduraux* ont été effectués. Dans ces blancs procéduraux il n’y a pas eu de polymère* plastique trouvé. Cela indique qu’il n’y a pas eu de contamination par d’autres MP au cours de ce travail.
Pour séparer les MP des foies, une technique de digestion chimique des tissus par de l’eau de javel notamment a été élaborée par la chercheuse. La mixture obtenue a ensuite été filtrée au travers de membranes filtrantes en acétate de cellulose de 5µm de porosité.
Ces membranes sont placées dans une solution de méthanol et traitées aux ultrasons.
Enfin, la solution de méthanol a été centrifugée*. Le culot obtenu a été récupéré et analysé en spectroscopie Raman*.
Trois foies de poissons ont également été utilisés pour réaliser des cryocoupes*. Une fois congelés ils sont enveloppés dans une résine, coupés et montés sur une lame de verre pour l’observation au microscope en lumière polarisée.
Les particules suspectes observées dans les cryocoupes et celles isolées par digestion chimique ont été analysées en spectroscopie Raman. Cette technique d’imagerie permet de vérifier notamment la composition chimique mais aussi l’homogénéité de la composition des particules de microplastiques. Autrement dit, si le MP est constitué d’une seule et même sorte de molécules ou de plusieurs. Après ces analyses, les particules plastiques ont été individuellement mesurées et pesées. Un autre programme a servi à mesurer la longueur maximale de chaque particule à partir de photos.
III Résultats et discussion
– En dehors de 8 des 10 foies d’anchois, 9 MP ont été détectés. Ces MP mesuraient entre 124 et 438 µm avec une moyenne de 323 µm. 8 MP étaient en polyéthylène (‘‘PE’’) et 1 autre était un copolymère* de styrène et d’acrylonitrile.
– 3 des 4 foies de sardines et de harengs contenaient du plastique, également sous forme de PE et de même taille que ceux isolés dans les foies d’anchois.
Le polyéthylène est très souvent présent dans les analyses. Il se trouve que c’est le plastique le plus produit et utilisé dans le monde pour fabriquer les sacs plastiques par exemple.
Ces résultats amènent plusieurs conclusions :
il est possible de trouver des MP en dehors du tractus intestinal chez des vertébrés sauvages.
Des microplastiques n’ont pas toujours de composition homogène ; le polyéthylène a été retrouvé associé avec de la cellulose.
La chercheuse s’interroge mais par manque de temps sur cette étude ne peut apporter d’explications à ce jour :
– existe-t-il dans le foie des poissons des mécanismes physiques et chimiques de réorganisation des molécules de polymères ? Si oui lesquels ?
– comment des microplastiques de tailles identiques et non négligeables (quelques centaines de micromètres) peuvent migrer dans le foie à partir de l’estomac des poissons ?
Cette étude nous interroge aussi de manière plus globale.
Comment ces microplastiques peuvent (ou non) impacter la santé humaine lorsque nous consommons des poissons ?
Qu’en est-il de la contamination chez les gros poissons prédateurs des anchois, harengs et sardines qui peuvent accumuler des microplastiques du fait de leur place dans la chaine alimentaire ?
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Lexique :
– Blancs procéduraux : analyses pour vérifier l’absence de microplastiques dans l’environnement de travail.
– Centrifuger : Technique de séparation utilisant les différences de densité des constituants d’un mélange. Le récipient est mis en mouvement rapide pour accélérer la décantation.
– Copolymère : les copolymères sont des polymères (voir précédemment) qui résultent de l’association de deux molécules différentes (ici une molécule de styrène de formule C8H8 et une molécule d’acrylonitrile de formule C3H3N). Cette association se répète plusieurs fois pour former un copolymère.
– Cryocoupes : coupes extrêmement fines réalisées sur des tissus congelés.
– Gonades : organes reproducteurs.
– IFREMER : Institut Français de Recherche pour l’Exploitation de la Mer.
– Polymère : famille de matériaux constitués de très grosses molécules (appelées macromolécules) qui présentent un enchainement répété plusieurs fois de molécules identiques ou non plus petites. La plupart des plastiques sont des polymères.
– Sédiments : Dépôt de matières.
– Spectroscopie Raman : Technique d’analyses pour identifier une matière en utilisant de la lumière visible. Cela permet d’identifier ici si des plastiques sont présents dans les culots et de donner la composition chimique des plastiques.
– Translocation : correspond au déplacement d’une particule d’un organe vers un autre.
– μm : symbole de l’unité de longueur « micromètre » équivalente à 1 millionième de mètre ou 1 millième de millimètre.
Références :
Collard, F., Gilbert B., Compère, P., Eppe, G., Das, K., Jauniaux, T., & Parmentier, E.. « Microplastics in Livers of European Anchovies (Engraulis Encrasicolus, L.) ». Environmental Pollution 229 (1 octobre 2017): 1000‑1005. https://doi.org/10.1016/j.envpol.2017.07.089.
Ont participé au travail d’écriture de cet article, en collaboration avec France Collard, chercheuse en écologie marine (par ordre alphabétique) : Badr Bourhim, Hugo Luminet et Ludovic Martin
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Comment citer cet article : France Collard et la classe de l’option sciences du collège Albert Camus (Clermont-Ferrand, FR), Des microplastiques dans le foie des anchois, Journal DECODER, 2020-11-02
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