Culture scientifique et art contemporain à La Biennale de Lyon 2024
Publié par Michel Naranjo, le 22 octobre 2024 330
Compte-rendu de la visite des ingénieurs et scientifiques à La Biennale de Lyon d’Art contemporain
Organisée par : Union des Ingénieurs du CNAM : UNICNAM Auvergne, Ingénieurs et Scientifiques de France : IESF Auvergne et Lyon Rhône Ain, Association des élèves et anciens élèves Cnam : AE2CNAM Lyon
Passionné de sciences et d’art [1] j’ai relaté dans ‘EchoSciences’[2] ma visite à ‘La Documenta’ de Cassel, exposition qui donne le "la", tous les cinq ans, à tous les musées et centres d'art de la planète. J’y avais souligné le rôle fondamental de la culture scientifique associée aux arts ! J’ai récidivé cette année, à la Biennale de Lyon, mais je ne m’y suis pas rendu seul, mais accompagné d’adhérents d’associations d’ingénieurs et scientifiques.
Le thème choisi cette année est « Les voix des fleuves, Crossing the water », où les artistes évoquent, interrogent, poursuivent le sujet des relations qui se nouent et se délient entre les êtres et avec leur environnement. Le CNAM, une des premières Grandes Ecoles créées à la révolution, a toujours eu pour mission de diffuser une culture scientifique par la volonté d’un abbé Janséniste, obsédé par l’idée « des professions utiles » dont les codes ne seraient pas réservés à une élite :
« …Sachez citoyens qu’un peuple ignorant ne sera jamais un peuple libre ou qu’il ne le sera pas longtemps, discours de l’abbé Grégoire à la Convention pour la création d’un établissement conformément aux décrets du 19 Vendemaire et du 9 Brumaire de l’an III (1794) !
En tentant de comprendre comment les créateurs utilisent leur art pour appréhender le monde d’aujourd’hui, ce week-end culturel lors de la commémoration du centenaire du premier diplôme d’ingénieur CNAM (1924), pouvait nous permettre ‘une évolution du regard’ sur les œuvres contemporaines. Les quelques œuvres choisies parmi celles des 78 artistes exposées montrent la diversité des créations[3].
- Au Musée d’Art Contemporain, MAC Lyon : ce musée présente un corpus d’œuvres autour des relations humaines intimes et personnelles qu’elles soient amicales, familiales ou amoureuses.
Commençons par la belge Chantal Akerman (1950-2015), et son installation vidéo ‘In the Mirror ’où une jeune femme presque nue se regarde dans un miroir et commente à voix haute son corps. A travers les paroles de la protagoniste, l’œuvre explore la question de la relation à soi et du regard des autres. La projection confronte le public à sa propre image, à partir d’un jeu de reflets entre le miroir et l’écran. |
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‘Arqitectura de Esperanza’ Paso pour des processions rituelles lors de la Semaine Sainte |
Puis c’est la sévillane Pilar Albarracin, (56 ans), qui présente la culture populaire de son Andalousie natale, à travers ses traditions, ses rites et ses symboles. Transgressive, son œuvre ouvre des espaces de revendications féminines et invite à une prise de conscience des relations de pouvoir et des manques, absences et interdits d’une société patriarcale. Dans l’installation représentée ci-contre, pour faire pénitence un paso richement décoré est porté par une soixantaine d’hommes, membres de confréries commémorant la passion du Christ. |
Plus classique, des acryliques sont très présentes. Celle ci-dessous est de Ludivine Gonthier (27 ans) qui dépeint ses passions et ses amitiés.
Inspirée par les grands portraits de groupe de l’histoire de l’art, elle se représente entourée de ses proches, célébrant joyeusement sa bande, telle une famille recomposée et unie par des liens de parenté réinventés.
Après avoir monté des pièces d’Ibsen, Tchekhov…, Lorraine de Sagazan (38 ans) mène un travail théâtral qui s’écrit à partir de récits qu’elle collecte et l’amène à s’interroger sur la manière dont la fiction peut répondre au réel. A la Biennale (également présentée au Festival d’Avignon 2024), son installation ‘Monte de Pieta’, tente de révéler la douleur que peut susciter l’injustice.
Lorraine de Sagazan a été invitée à La Comédie de Clermont pour présenter sa pièce : ‘Un Sacre’. (Photo avec le groupe de La Comédie de Clermont ) |
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Etiquetés et consignés, les objets qui la composent sont liés à des souvenirs traumatiques, qui rappellent à leurs propriétaires les torts qu’ils ont subis.
‘Musée dans le musée’, l’anglaise Grace Ndiritu (42 ans) a utilisé une salle entière pour l’installation ‘the Blue Room’. Elle se conçoit comme un dispositif pour la présentation critique des collections (empruntées dans tous les musées de Lyon) et un lieu spirituel pour les rencontres.
Briefing de notre groupe des ingénieurs et scientifiques autour de l’œuvre textile ‘Protest Carpet’, de la même artiste. L’image au premier plan est celle d’une révoltée à la manifestation du Mouvement de Libération des Femmes à Washington en 1970.
- Aux Grandes Locos :
Le site lui-même est la vedette incontestée de l’exposition : aménagé en 1846 pour la réparation des locomotives à vapeur, il a été témoin de 170 ans d’histoire de la SNCF, ainsi que d’importantes luttes sociales. Pour La Biennale, les artistes ont repensé entièrement leur installation, comme Chourk Hrieck (47 ans) :
En entrant dans la première cour, nous apercevons une première œuvre, une narration graphique. Inspiré par l’histoire du lieu, il combine, à l’architecture d’une friche industrielle, des motifs végétaux et animaliers. |
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On retrouve, dans le halle 1, d’autres œuvres de cet artiste où, croisant le dessin, la photographie, le textile et le son, il dévoile d’immenses cartographies poétiques : des oiseaux migrateurs imaginaires, symboles de l’envol et de la liberté, traversent de grands paysages inspirés de ses voyages.
Non loin une installation de Feda Wardak ( 33 ans) franco afghane qui vit et travaille à Paris : ‘Les Sols ont vibrés’ explore la destruction des galeries souterraines -karez- qui acheminaient l’eau depuis les sommets des montagnes jusqu’aux vallées arides des zones tribales afghanes à la suite des attaques de drones de l’US Air Force et leur reconstruction par les populations locales.
L’installation s’articule depuis le ciel où s’exerce le contrôle des forces américaines jusqu’aux sous-sols, où s’organisent les réseaux locaux de remise en état.
A la surface voutée du plafond se trouve l’œuvre lumineuse du québécois Michel Broin (56 ans) : elle souligne les failles du bâtiment et les traces de leur réparation : mélange de ciments, de chaux, de sable et d’eau. Cette œuvre, au dire de l’artiste, célèbre la résilience et la beauté des imperfections du lieu.
Nous sommes incités à lever notre regard vers l’œuvre de la franco gabonnaise, Myriam Minhindou (60 ans) : ‘lève le doigt quand tu parles’ : Juchés sur des fers à bétons, des bras de femmes se lèvent. Signaler, réclamer, implorer, se soulever, cette œuvre renvoie aux droits des femmes entre silence et révolte. Elle s’inspire aussi de l’histoire des anciennes usines ferroviaires, lieu de réparation des locomotives des lieux, et théâtre des luttes sociales et syndicales, puisqu’elle convoque les notions de résilience et de soin autant que celles de revendications et contestations. |
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L’andalouse Pilar Albarracin dont nous avons déjà pu voir ses œuvre au MAC, expose ici une œuvre amusante : une cinquantaine de cocottes minutes lâchent leur vapeur à l’approche des visiteurs, telles des locomotives du temps jadis. En prêtant l’oreille, on reconnait les notes de l’Internationale…
‘The Cave’ :
Pour terminer notre visite des ‘Grandes Locos’, rien de tel que de s‘immerger dans l’environnement visuel et acoustique de grottes paléolithiques. Pour cette installation, le britannique Olivier Beer (39 ans), ayant bénéficié d’un accès privilégié aux grottes de Dordogne, a composé une monumentale installation vidéo de huit écrans qui associe art visuel et musique. En écoutant une polyphonie d’un octuor, nous nous prenons à imaginer comment ces hommes préhistoriques savaient utiliser la constitution naturelle de tels lieux pour exprimer leur talent, et les partager dans des relations humaines intimes et personnelles, en somme comme dans ‘Crossing the Water’ où les artistes de notre temps nous engagent à oser les rejoindre .
Références
[1] Michel Naranjo : « Odyssée dans le Clermont culturel: L’itinéraire d’un passionné de sciences et d’art », 2024, Broché , chez Amazon.
[2] Voir EchoSciences Auvergne: 'La 'Documenta' 2022, RDV mondial de l'Art contemporain, mais aussi brillante réussite de médiation scientifique
[3] J’ai utilisé mes photos prises lors de la visite du groupe les 5 et 6 octobre 2024 ; pour la description des œuvres et la biographie des artistes, on peut se reporter au catalogue de La Biennale : « les voix des fleuves Crossing the water », ISBN 978-2-9584724-1-2 ; La Biennale est ouverte jusqu’à début janvier 2025.