Les Petits Papiers : Espace & Lanceurs avec Emmanuelle DAVID
Publié par astu 'sciences, le 19 avril 2021 1.5k
"Les Petits Papiers" : une série d'articles à thème donnant la parole aux scientifiques, chercheurs ou passionnés des sciences. Les petits papiers, ce sont des entretiens retranscrits sous formes d’articles sur des thématiques scientifiques et diverses.
Pour sa première édition, la série abordera la thématique de l’Espace. Aujourd'hui, c'est à travers un entretien réalisé avec Emmanuelle David, exécutive manager au sein du Centre spatial de l'EPFL, que nous aborderons la logistique spatiale durable.
Pour ce premier article, nous recevons Emmanuelle David. Pourriez-vous présenter votre parcours professionnel et votre travail ?
Je me nomme Emmanuelle David, et suis ingénieure en génie mécanique dans le domaine de l’aérospatial. Depuis 10 ans, je mets mes compétences au service du spatial, et plus particulièrement dans le domaine des lanceurs. J'ai effectué mes premiers travaux de recherches systèmes dans le Nord de l’Allemagne, au sein du DLR, le Centre allemand pour l’aéronautique et l’astronautique ( aussi appelé Deutsche Zentrum fur Luft- und Raumfart) était le premier.
Après mes études en France et en Allemagne, j’ai intégré l’ Agence Spatiale Européenne à Paris dans laquelle, j’ai oeuvré au développement de différents lanceurs : Ariane5ME, évolution de la fusée Ariane 5, puis Ariane 6, dont les premiers vols sont prévus d’ici 1 à 2 ans.
Désireuse de participer aux lancements depuis la Guyane française, j'ai alors rejoint l’entreprise RUAG SPACE à Zurich en Suisse. En effet, cette entreprise s'occupe de produire et livrer à Kourou les coiffes protégeant le satellite lors de la traversée de l'atmosphère. Cela m'a permis de vivre une expérience unique sur le terrain, au beau milieu de la jungle, dans un monde complètement à part.
Finalement, mon parcours m'a mené à Lausanne, au Centre spatial de l’EPFL, ou eSpace dont je suis l'exécutive manager. La mission du Centre s'articule autour de deux axes : l' éducation et la recherche.
Du côté de l' éducation, un mineur en technologie spatiale est proposé aux étudiants de l'EPFL, ainsi que divers projets interdisciplinaires. Dénommés Projets MAKE, ils réunissent entre 10 et 150 personnes chacun.
Côté recherche, eSpace mène actuellement une initiative sur la thématique de la logistique spatiale durable intitulée SSL - Sustainable Space Logistics.
Une autre de nos missions consiste à soutenir les applications du spatial au sein des laboratoires de l'EPFL, en collaboration avec leurs ingénieurs et scientifiques/chercheurs.
Pouvez-vous nous parler de la logistique spatiale durable ?
Comme nous pouvons l’observer depuis quelques années, il y a une très forte augmentation du trafic spatial. Notamment avec des entreprises privées comme SpaceX, qui a été le leader dans les lancements avec diminution des coûts pour l’accès à l’espace. De nombreux acteurs commerciaux jouent sur la carte de l’espace, proposant des tickets pour aller sur la lune par exemple, et de nouveaux acteurs voient le jour.
Le processus a complètement changé : auparavant, une mission était construit autour d'un unique objectif. À l’heure d’aujourd’hui, la première question à se poser est celle-ci : « Quel taxi ou quel opérateur vais-je emprunter pour me rendre sur le terrain ? ».
C’est pourquoi eSpace a décidé d'étudier ce qu’on appelle « la logistique spatiale ». Elle est presque identique à la logistique qui se fait sur Terre mais on veut éviter de reproduire les mêmes erreurs du passé. C'est pourquoi la question de la durabilité est évidemment centrale. Il y a, notamment, une prise de conscience sur les nombreux objets déjà présents dans l’orbite terrestre. Ceux-ci pourraient représenter des risques de collision en chaîne pouvant mettre en danger l’usage et l'exploration de l'espace par l'Homme. Essayer d’éviter ce phénomène doit être une priorité.
Des projets concrets sont mis en oeuvre pour enlever ces débris. Une spin-off de l'EPFL, nommée ClearSpace, a obtenu un contrat de l'ESA pour aller récupérer un premier objet "non coopératif " d’ici 2025 : VESPA, un adaptateur de satellites pour la fusée VEGA. Le développement de ces technologies se centralise sur le système de capture et sur la navigation relative. Concrètement, le but de ces travaux est de découvrir comment le chasseur doit se comporter pour aller récupérer sa cible VESPA. Nous n'avons aucune idée de comment la cible se comporte dans l’espace. Tourne-elle ? C’est complexe à maîtriser dans un environnement en apesanteur avec six degrés de marge d'erreur.
© ClearSpace
Pourriez-vous nous expliquer les principes de lancements des fusées et les substances émises au décollage ?
Il faut énormément d'énergie à une fusée pour décoller et naviguer dans l'espace. C'est pour cette raison qu'un lanceur possède plusieurs étages, qui se détachent étape par étape durant son vol. Dès que le carburant a été entièrement utilisé à l'intérieur d'un étage et que sa structure est vide, celui-ci se détache de la fusée. Le but est que la fusée devienne la plus légère possible afin de continuer sa progression.
Pour donner un exemple, ARIANE 5 est une fusée possédant deux boosters sur les côtés qui la propulsent. Ensuite, elle est pourvue d’un étage central, qui va brûler puis se détacher. Pour finir, l’étage supérieur de la fusée va exécuter la partie finale de mise à poste vers l’orbite.
Effectivement, les carburants utilisés aujourd'hui ne sont pas écologiques. Il y a un aspect de recherche sur le green propellant ou comment transformer un carburant pour qu’il soit moins polluant.
L’aspect des boosters et des structures tombant dans les océans est un autre angle à prendre en compte. Elon Musk, avec son entreprise SpaceX, travaille sur des étages réutilisables, un de leur booster en est à son huitième décollage. Cependant, la réutilisation d’étages est un vrai challenge, car les contraintes de sécurité sont très importantes. Avant chaque nouvelle utilisation, il faut récupérer puis réévaluer l’objet pour qu’il puisse voler à nouveau en toute sécurité et en toute fiabilité.
D’autres entreprises américaines ont travaillé au développement de technologies similaires, dont la fameuse Space Shuttle, une navette réutilisable, mais dont le problème reste le même : des coûts de contrôle et de réparation restent extrêmement élevés. Cela a amené à l’arrêt de ce programme.
Malgré tout, il y a une réelle volonté de faire des analyses de cycle de vie d’une mission ou d’un objet pour pouvoir minimiser au maximum les impacts écologiques.
Reconnaissez-vous un lien entre le spatial et le développement durable ?
Le spatial, en lui-même, doit être durable. Le comité pour les affaires spatiales (le COPUOS - UNOOSA) a adopté en 2019, au sein des nations unies, des lignes directrices pour la durabilité apportant des recommandations afin d'assurer une durabilité à long-terme (long-term space durability).
À l’international, des groupes de travail ont été créés pour débattre sur des enjeux de durabilité sur la Lune et sur Terre. Jean Yves Légal, Président du Centre national d'études spatiales français, a démontré à la COP21 que sur 50 paramètres de surveillance et d’étude du climat et de son évolution, 20 à 26 sont accessibles uniquement par le spatial.
L’utilisation de satellites et de différentes technologies d’images sont primordiales pour observer la Terre dans son ensemble. La météo ou encore les GPS, tel que Galileo, le système de positionnement par satellite développé par l’Union Européenne dans le cadre du programme éponyme et incluant un segment spatial, construisent leurs banques de données grâce à ces technologies. Il en est de même pour la communication dans les endroits très reculés ou la télé-médecine. On se rend compte que le spatial est dans notre vie de tous les jours. À l’EPFL, l’initiative Sustainable Space Logistics, mais aussi Space4Impact est en charge de ces questionnements.
Votre recherche est-elle conduite par des valeurs respectueuses de la Terre et de l’environnement?
La question de durabilité ne s’arrête pas à l’atmosphère, car l’homme est présent en dehors de l’orbite terrestre. Il faut prendre l’espace dans sa globalité et ne pas s’arrêter uniquement à notre Terre. Pourquoi ne pas faire de la Terre un havre de paix ? Et alors, toutes les productions, toutes les usines fonctionneraient sur une planète extérieure à la Terre ou sur la lune. C’est un débat à avoir mais je ne suis pas entièrement d’accord avec cette réflexion. Il faut arriver à vivre d’une manière saine et durable partout.
La proximité avec les étudiants est un aspect à ne pas oublier car ils représentent le monde d'aujourd'hui et - surtout - de demain. Dans de nombreux projets interdisciplinaires, les « contraintes » de durabilité sur les impacts sur l’environnement, les différents déplacements sont au centre des réflexions.
Retrouvez l’ensemble des applications et de la mission Sustainable Space Logistics
https://espace.epfl.ch/research/ssl/
Space4Impact de l’EPFL:
Cette semaine, retrouvez "Les Petits Papiers" quotidiennement afin d'en apprendre plus sur l'espace.
Mardi, les petits papiers revient pour un entretien effectué avec Lucie Poulet, post-doctorante au sein du Space Kennedy Center à la NASA, sur Espace & Adaptabilité. Nous aborderons essentiellement son travail portant sur la production de nourriture en boucle fermée dans l'espace.