Atelier : la musique et le cerveau
Publié par Michel Naranjo, le 8 janvier 2022 3.9k
Cet atelier fait suite à mon article:
LA MUSIQUE ? UNE « SYMPHONIE » NEURONALE DANS LE CERVEAU! du 3 février 2021
Il a pour objectif pédagogique de décrire comment fonctionne le cerveau pour percevoir la musique et en jouer. Il est expérimenté dans une animation 'Musique et Sciences de l'association clermontoise 'A.R.T.S.' (https://artscience.jimdofree.com).
Un poster représentant le cerveau est affiché en permanence et l’animateur s’y réfère pour indiquer la partie réagissant à chaque composante structurelle :
Cette ‘cartographie’ du cerveau est obtenue grâce aux techniques modernes d’imagerie cérébrales qui permettent de localiser les zones activées lors de la perception de sons.
On étudie les notions de hauteur, harmonie, rythme, timbre et texture sonore en expérimentant grâce à la voix et en jouant sur quelques instruments (1).
On introduit le système limbique, centre des émotions. Par une discussion avec l’auditoire, sont énumérés les gentes musicaux écoutés par les jeunes.
(1) Si l’animateur n’est pas instrumentiste, il trouvera facilement sur ‘YouTube’ les exemples musicaux mentionnés et bien d’autres !
Expérience 1 : La hauteur
- Demander à l’auditoire de chanter (par exemple des chansons enfantines) : faire remarquer que selon l’interprète, la ligne mélodique est plus moins aigue ou grave.
- Puis entonner la gamme do, ré, mi, fa, sol, la, si, do. Donner le la au diapason (note de base pour accorder les instruments dans tout ensemble instrumental) ; Le physicien ne parle pas de note, mais de fréquence : 440 hertz, sauf pour les instruments baroques accordés à 432 hertz(2), l’animateur explique pourquoi(3).
- (2) On peut faire appréhender la notion de fréquence en évoquant les ailes d’un insecte battant 432 fois par seconde !
- (3) ‘Les puristes’ indiquent que 432 hertz est la fréquence de vibration de la nature soit la fréquence de résonnance de l’eau constituant principal de notre corps; un instrument accordé à 432 hertz ‘résonne’ au plus profond de nos cellules et les imprègne de toutes ses vibrations !
- Option 1, utilisation d’une portée : Sur une portée avec la clé de sol, on place les notes de la gamme ; l’animateur définit le ton et le demi-ton et les fait écouter en les jouant sur un instrument de musique.
- Option 2, en chantant : A partir du la écouté, l’auditoire chante la note sol ! La comparer avec celle donnée par un instrument de musique ! Définir le ton dans l’intervalle sol-la. Puis par extension l’auditoire chante de nouveau la gamme en portant son attention sur les tons et demi-tons.
Expérience 2 : Le Glissando
L’animateur distribue à chaque participant un graphique où sont représentées en abscisse l’échelle des temps (montrer) et une double échelle des ordonnées pour porter la hauteur et la fréquence (montrer) ; la gamme précédente y est représentée, chaque note ayant une durée d’une seconde. On remarquera les intervalles irréguliers de hauteurs correspondants aux ton et demi tons !
Les participants relient par un trait, la note la plus basse à la note la plus haute : on a alors représenté un glissando !
Si un instrumentiste à cordes se trouve présent lui demander de le jouer. Montrer que ceci n’est pas possible sur les instruments à touches et claviers ! On écoute le début de la partition ‘Metastasis’ de Xenakis(4) où un orchestre à cordes joue des glissandi. (https://www.youtube.com/watch?...).
L’auditoire tente de répondre aux questions suivantes :
- Quelle est la note de départ ? le premier glissando est-il ascendant ou descendant ? et les deux suivants ? Porter son attention sur l’accord très dense qui conclut ces glissandi.
(4)Iannis Xenakis (1922-2001) : mathématicien, architecte et compositeur.
En option : Indépendamment de la notion de hauteur, remarquer aussi des effets musicaux voulus par le compositeur. D’abord la percussion qu’on entend aléatoirement (définir ce terme). Puis les intervalles de temps, séparant chaque départ de glissando, se rétrécissent de plus en plus. Introduisons la ‘suite de Fibonacci(5)’ où chaque terme successif représente la somme des deux termes précédents : 0, 1, 1, 2, 3, 5, 8, 13, 21 et 34 (vérifier). Dans Metastasis cette ‘suite’ est inversée (vérifier) !
- (5) Léonard de Pise dit Fibonacci (1170 ; 1250) : mathématicien.
Expérience 3 : masse sonore
Par l’accord très dense dans la partition de Metastasis, aboutissement de tous les glissandi, Xenakis a voulu donner une sensation de masse, le son résultant occupant une grande partie de l’échelle des hauteurs audibles (définir).
A la fin du XXème siècle, en musique électronique, des compositeurs ont produit des œuvres s’accompagnant souvent d’expériences de spatialisation de la musique. Citons par exemple Stockhausen (6) avec ‘Oktophonie’. Cette musique, composée en 8 pistes et projetée par 8 groupes de haut-parleurs, nécessite une distribution en cube qui enveloppe pratiquement les auditeurs, et rend encore plus audibles les mouvements simultanés des 8 couches. On ne peut pas faire d’expériences de spatialisation dans cet atelier, mais l’écoute d’Oktophonie est tout à fait possible (par YouTube) pour saisir ce contexte de masse sonore.
- (6) Karlheinz Stockhausen (1928-2007) : compositeur dont le travail est construit autour de la musique électroacoustique, de la spatialisation du son.
Quelques explications : Nous voyons sur le poster que la zone concernée par la hauteur et la mélodie est le cortex auditif : c’est la zone du cerveau qui reçoit directement les vibrations perçues par l’oreille (tympan, osselets..). On comprend que la sensation de hauteur y est directement perçue.
La spatialisation sonore fait appel à la fois aux perceptions de la musique et de l’espace rôle attribué au lobe pariétal. Au XXIème siècle, l’intégration de fonctions de spatialisation sonore dans les environnements de réalité virtuelle ouvre des perspectives d’applications aussi bien artistiques que scientifiques pour la recherche en neurosciences.
Expérience 4 : le rythme
- On demande à l’auditoire de chanter ‘Jingle Bells’ et l’animateur définit diverses composantes :
- Le découpage du temps : deux répétitions de deux notes courtes suivies d’une note longue puis quatre notes courtes suivies d’une note très longue.
- Le tempo : chanter vite ou lentement (essayer).
- Les temps forts: les notes plus accentuées que les autres et qui se répètent régulièrement (rechanter en appuyant exagérément sur les temps forts) !
Explications : Le cortex auditif comprend plusieurs parties :
- Cortex auditif primaire : c’est ici où s’effectuent les premiers traitements des informations auditives, des différentes fréquences sonores, de l’intensité du son et de sa durée.
- Cortex auditif secondaire : Autour du cortex auditif primaire le cortex auditif secondaire permet des traitements de plus haut niveau comme le rythme mais aussi la prosodie du langage (définir).
Ecoutons la très connue ‘Cinquième de Beethoven’ (dont on a célébré, en 2020, le 250ème anniversaire de sa naissance). Elle commence par une séquence de trois notes courtes identiques suivie d’une longue : POM POM POM POOOOM, mélodie on ne peut plus simple ! La beauté est due au génie de Beethoven qui nous donne ici une cellule rythmique irriguant toute la symphonie. Notons que le demi-soupir du début force les musiciens à partir en contretemps, contribuant à accentuer la beauté du rythme ! Toujours à propos du rythme, le compositeur donne le tempo: 'Allegro con Brio',!
- Reproduire ceci en chantant : imiter le battement du chef (mesure à deux temps) et compter 1 lorsque son bras s’abaisse avant de lancer le POM POM POM POOOOM !
- Puis chanter deux exemples de rythmes donnés ci-dessous (irlandaise et sicilienne) en appuyant exagérément sur les temps forts.
- L’animateur pourra les présenter avec son instrument; suggestions : ‘Irlandaise’ dans ‘la sonate en sol’ de Telemann(7) ; ‘sicilienne’ de Fauré(8) , extrait de Pelleas et Melisande.
- (7) Georg Philipp Telemann (1681-1767) : compositeur et musicien multi-instrumentiste.
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(8)
Gabriel Fauré (1845-1924) : pianiste, organiste et compositeur.
Expérience 5 : le timbre
- Renouvelons l’expérience 1 où l’auditoire chante et essayons de qualifier les différentes voix : chaude, douce, sensuelle, métallique, sourde, claire, rauque, sombre, voilée, éraillée, atone, plate, puissante, blanche, nasale… Ces qualificatifs donnent une ‘carte d’identité’ de chaque voix : c’est le timbre. Les instruments de musique sont également caractérisés par leur timbre musicalement appelé ‘couleur’.
- Option 1 faisant appel à des connaissances en physique: une note produite par la voix, un instrument à cordes ou à vent est une vibration complexe : somme de la fréquence fondamentale et d’une série d’harmoniques. Prenons comme exemple deux flûtes : Le graphe fréquence temps ci-dessous, représente la décomposition harmonique de la flûte à bec. l'épaisseur des traits est proportionnelle à l’intensité de l’harmonique. Rappelons que l’harmonique 1 est la note fondamentale et les autres sont séparées d’une octave! Les quelques premières millisecondes correspondent au temps que met le son pour s’établir (transitoire d’attaque).
- Outre la fondamentale, la flute à bec est riche en harmonique 4.
- Pour la flûte traversière l’harmonique 1 disparaît au profit des harmoniques 2 et 4, comme on le constate dans le graphe ci-dessous:
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En principe ‘la richesse’ en harmoniques est synonyme de ‘beauté’ d’un timbre. Mais là on fait appel aux mécanismes de l’émotion qu’on analysera plus loin ; ce qui est certain pour la flûte traversière est que l’harmonique 1 (rappelons que c'est la hauteur de la note jouée) n’existe pas, mais le cerveau la restitue !
- Option 2 basée sur l’écoute (pour ceux n’ayant que des connaissances très succinctes en physique). L’animateur fait entendre, en les nommant, le timbre d’un certains nombres d’instruments aussi bien à vents qu’à cordes ainsi que des percussions. Puis passe un conte musical (éviter Pierre et le loup trop connu !) et l’auditoire doit identifier les instruments.
- Variante : on distribue les cartes du jeu des 7 familles musicales ; puis l’animateur choisit de faire entendre des solistes dans diverses familles d’instruments et l’auditeur possédant la carte correspondante doit la montrer.
- Autre variante : l’animateur peut présenter, en le commentant, le placement d’un orchestre symphonique dans un auditorium.
Expérience 6 : l’harmonie tonale.
On revient à la gamme élémentaire do, ré, mi, fa, sol, la, si, do ; la jouer, puis altérons(*) des notes soient : do, ré, mi bémol, fa, sol, la bémol, si bémol, do. La première est appelée gamme de do majeur et la seconde do mineur.
Avec trois instruments identiques (trois flûtes à bec par exemple) jouons ensemble les trois notes : do, mi, sol : on obtient un accord dit ‘majeur’, issu d’une gamme majeure ; en revanche do, mi bémol, sol, est un accord dit ‘mineur’, issu de la gamme mineure.
(*) Le bémol abaisse la note d’un demi-ton, le dièze la réhausse d’un demi-ton.
Dans la culture occidentale, le mode mineur est (souvent) associé à une ambiance triste, et le mode majeur à un ton joyeux ! Ecoutons par exemple ‘Jingle Bells’ (mode majeur) joué au piano et portons notre attention sur l’accord en do majeur qui accompagne la ligne mélodique.
Au piano et à l’accordéon la ligne mélodique, écrite en clé de sol, est jouée par la main droite, et les accords, écrits en clé de fa, par la main gauche.
Puis écoutons l’air ‘les feuilles mortes’ (mode mineur).
Qu’en pense l’auditoire ?
Ici, sans rentrer dans le détail, on peut indiquer que dans la ‘théorie de la musique’ il existe de très de nombreux accords majeurs et mineurs qui sont appris pour jouer sur les instruments tels que le piano et l’accordéon. L’animateur peut faire écouter des partitions de jazz où le musicien soliste (trompette, saxo..), laisse la place au guitariste qui improvise une kyrielle d’accords !
Encore plus complexe à analyser : la réduction pour piano de ‘la Cinquième’ de Beethoven écrite par Franz Liszt(9):
- Vérifier que les accords sont bien en mode majeur ; de la 6ème et 7ème mesure , puis à la 10ème et 11ème mesure, la main gauche reprend le thème (POM POM POM POOM) pour faire apparaître les notes basses des violoncelles et contrebasses ; dans ces mesures les accords sont dévolus à la main droite.
- (9) Franz Liszt (1811-1886): compositeur, transcripteur et pianiste virtuose.
Expérience 7 : Le cerveau limbique, notre cerveau émotionnel
Prenons un musicien installé devant sa partition, (les explications suivantes sont données en se référant au poster du cerveau) :
L’étape de départ consiste à lire les premières notes avant d’interpréter l’œuvre. Il voit des notes sur une portée (deux dans le cas du piano) qu’il doit associer à des sons et à un doigté pour générer les notes de l’instrument. Le signal visuel part des yeux, puis est transformé en un signal électrique qui se transmet le long du nerf optique vers le cortex visuel . Des connections vont d’une part vers le cortex auditif et d’autre part vers le cortex moteur. Ces trois régions agissent en boucle de façon continue et coordonnée. Il est nécessaire d’anticiper la lecture afin d’obtenir : un bon phrasé, une bonne dynamique correspondant au jeu musical inspiré par la partition, la coordination de ses mains assurant le rythme adéquat. Des lignes directes sont mises à contribution en temps réel entre l’oreille et les cortex moteurs et sensorimoteurs qui contrôlent les doigts impliqués. On doit ajouter une expression émotive, et là intervient tout le système limbique. : Il forme une sorte d'anneau situé à la face interne de chaque hémisphère cérébral et comporte plusieurs structures :
L’amygdale joue un rôle important dans l’apprentissage, la mémorisation et la gestion des émotions.
Le gyrus parahippocampique est une zone corticale adjacente à l’hippocampe participant à la visualisation des scènes et des lieux.
L’hippocampe intervient principalement dans la construction de la mémoire et la résurgence des souvenirs.
L’hypothalamus est le principal lien entre le système nerveux et le système hormonal.
Les bulbes olfactifs sont des faisceau de cellules nerveuses sensorielles allant de la cavité nasale à l’intérieur du cerveau. Ils traitent partiellement les informations relatives à l’odorat avant d’être perçues consciemment.
Les corps mamillaires sont des petit amas de cellules nerveuses qui relaient les signaux à l’hypothalamus, contribuant ainsi à la vigilance et à la construction de la mémoire.
Le gyrus cingulaire est une partie du cortex limbique située au-dessus du corps calleux.
Lorsque nous pensons, percevons, ressentons, nous évaluons automatiquement l’effet produit : positif, neutre ou négatif. Cette évaluation est ultrarapide (moins de 100 millisecondes) et a lieu de manière inconsciente. Notre système limbique réagit instantanément à nos pensées et envoie l’information au tronc cérébral, provoquant diverses réactions dans notre corps.
Examinons, par exemple, la relation musique-danse : Nous notons, dans le poster sur le cerveau, que le cervelet et le noyau accumbens sont à l’origine d’actions liées à la musique : jouer d’un instrument, danser. A défaut d’être instrumentiste, la musique peut susciter un sentiment de participation imaginée à la production du son en induisant des mouvements du corps. A notre époque, ceci peut expliquer le succès des concentrations que sont les grands festivals de musique où la majorité du public est debout, chantant et dansant en communion avec les groupes musicaux sur scène!
Dans cette partie, l’animateur peut présenter son interprétation ‘de la beauté’ dans la relation ‘musique-danse’. On peut suggérer de montrer comment Clément Cogitore(10) a réalisé un choc esthétique avec l’œuvre de Rameau(11) : «les Indes galantes » avec le célèbre air ‘Danse du grand calumet de la paix’ où les chanteurs lyriques se confrontent aux virtuoses du krump, du hip-hop, de l’électro.
(10) Clément Cogitore Clément né en 1983 : artiste contemporain, son travail questionne les modalités de cohabitation des hommes avec leurs images.
(11) Jean Philippe Rameau (1683-1764): compositeur français et théoricien de la musique ; la création la plus célèbre du compositeur est l'opéra-ballet Les Indes galantes (1735).
Puis l’animateur laisse la parole à l’auditoire qui indique les préférences des jeunes pour telles ou telles musiques !
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L’écoute des musiques non occidentales (opéra chinois, par exemple) peut appuyer la thèse que la compréhension de la musique par le cerveau dépend étroitement de la culture de chacun !
Expérience complémentaire: tromper le cerveau : les paradoxes musicaux ! (réservée aux groupes ayant un bon niveau en physique)
Basée sur les travaux de Jean-Claude Risset(12), on montre comment ‘un bricolage’ sur les spectres sonores permet de tromper le cerveau : rotations, glissando éternellement ascendants etc.
Basé sur un rapport de l’IRCAM(13), cette expérience fait l’objet d’une feuille de présentation séparée dans un prochain article.
- (12) Jean-Claude Risset (1938-2016) : musicien et scientifique.
- (13) IRCAM : Institut de Recherche et Coordination Acoustique/Musique situé au Centre Pompidou à Paris est aujourd’hui l’un des plus grands centres de recherche publique au monde se consacrant à la création musicale et à la recherche scientifique.
Pour approfondir :
- Deux livres :
- « Le cerveau et la musique » de Michel Rochon : ‘Une odyssée fantastique d’art et de sciences’, édité par ‘MultiMondes’, 2018.
- « Les bienfaits de la musique sur le cerveau » d’Emmanuel Bigand, Belin éditeur, 2018.
- L’interview du Professeur de neuropsychologie, Hervé Platel, donné au journal ‘le Monde Science et Médecine’ du 10 juillet 2019 : « La musique provoque une symphonie neuronale dans le cerveau ».