Accros aux jeux vidéo?
Publié par Marie-Catherine Mérat, le 30 avril 2018 2k
L’annonce suscite déjà la controverse. Dans sa 11e révision de la Classification internationale des maladies prévue mi-2018, l’OMS prévoit de classer la consommation excessive et incontrôlée de jeux vidéo comme une addiction, baptisée « trouble du jeu vidéo ».
Peut-on être accro aux jeux vidéo ? La question n’est pas nouvelle et suscite depuis de nombreuses années de profonds désaccords entre médecins, chercheurs en sciences cognitives et industrie du jeu vidéo. Pourtant personne ne conteste ce qui est aujourd’hui une réalité : Ces dernières années, les consultations d’addictologie ont vu affluer de nouveaux patients, qui semblent avoir développé une véritable dépendance psychologique à l’objet de leur passion. « Nous sommes les premiers à admettre qu’il existe des joueurs excessifs et que ceux-là doivent être accompagnés et pris en charge, observe Julien Villedieu, délégué général du syndicat national du jeu vidéo. Mais nous réfutons le terme d’addiction ». Si le débat semble loin d’être clôt, l’OMS a néanmoins décidé de trancher. Dans sa version préliminaire de la 11e classification internationale des maladies, qui doit être publiée en juin prochain, l’organisme a décidé d’inclure le « trouble du jeu vidéo » dans la catégorie des « troubles liés aux comportements addictifs avec plusieurs caractéristiques de dépendance ». Pour l’OMS, l’addiction aux jeux vidéo existe donc bel et bien. Trois critères seront requis pour poser un tel diagnostic : une perte de contrôle sur le jeu, l’abandon d’autres activités (loisirs, etc.) et l’impact négatif sur des sphères de la vie quotidienne (conflits familiaux, désintérêt scolaire ou professionnel etc.). Selon ces critères, 1% des « gamers » (personnes jouant quotidiennement) pourraient ainsi se voir diagnostiqués « addicts » aux jeux vidéo.
Quels jeux?
Mais de quels jeux parle-t-on exactement ? Tous sont-ils concernés ? À priori oui, même si certains apparaissent plus fréquemment associés à des comportements addictifs, à commencer par les jeux en réseau. Trois catégories sont particulièrement ciblées : les FPS (first person shooter, jeux de tirs à la première personne), jeux d’action et de réflexe dans lesquels le joueur ne voit pas l’intégralité de son personnage mais uniquement sa main et l’arme dont il se sert, typiquement Call of Duty, Counter Strike, etc.; les Moba (multiplayer online battle arena, arènes de bataille en ligne multijoueurs), jeux de stratégie et d’équipe, comme League of legends, le plus joué au monde actuellement (la finale du championnat du monde est suivie chaque année par plusieurs millions de spectateurs sur internet et dans des salles) ; enfin les fameux MMORPG (massively multiplayer online role playing, jeux de rôle en ligne massivement multijoueurs), d’inspiration souvent médiéval-fantastique comme le célèbre World of Warcraft, dans lesquels le joueur crée un avatar chargé d’accomplir des quêtes, de remporter des batailles et d’explorer de vastes mondes virtuels.
Plusieurs caractéristiques expliqueraient le plus fort potentiel addictif de ces jeux. Tout d’abord, ils sont basés sur un système de progression. Plus le joueur joue, plus il devient puissant et acquiert de nouvelles compétences. Ainsi dansWorld of Warcraft, pour développer le plein potentiel d’un personnage, environ 250 heures de jeu sont requises, à l’issue desquelles le joueur peut alors intégrer une guilde (communauté de joueurs) importante, ce qui constitue une forte reconnaissance.
Ensuite, ces jeux font l’objet de classements internationaux. Plus le joueur progresse, plus il grimpe dans le classement, un vrai renforcement positif. Les classements sont même parfois mis à jour quotidiennement, comme dans League of Legends, ce qui les incite à jouer très régulièrement.
Autre caractéristique : certains jeux, comme les MMORPG, proposent un monde virtuel permanent ; le jeu continue même quand le joueur n’est pas connecté. Si celui-ci appartient à une guilde, il peut être contraint de jouer à des jours et heures précis. « Comme l’univers est persistant et sans fin, il doit y retourner régulièrement pour conserver son niveau et augmenter ses compétences », ajoute Julien Villedieu.
Enfin, bon nombre de jeux intègrent un système de renforcement, basé sur des récompenses notamment. À chaque mission, le joueur a une forte probabilité de remporter une récompense mineure (typiquement un objet déjà possédé par beaucoup de joueurs), une probabilité moindre (entre 1 à 5%), d’obtenir une récompense plus rare, et une probabilité infime (de l’ordre de 0,5% voire moins) de gagner une récompense dite épique, fortement convoitée. « Ce schéma d’attribution de récompenses est partagé par plusieurs types de jeux et favorise la persistance du comportement chez le joueur, indique Joël Billieux, professeur de psychologie à l’Université du Luxembourg, qui fut l’un des experts sollicités par l’OMS pour réfléchir à cette question du « gaming ». C’est un peu comme avec les jeux d’argent ».
Parfois, la frontière est d’ailleurs floue avec les jeux d’argent et de hasard, comme l’a montré la polémique récente autour du jeu Starwars Battlefront 2, dans lequel le joueur avait la possibilité (avant que l’éditeur du jeu ne fasse marche arrière) d’acheter des « loot box », littéralement des boites à butin, pour augmenter plus rapidement la puissance de son personnage. Un modèle étudié pour générer de la frustration et inciter le joueur à acheter toujours plus.
Désir d’accomplissement et de maîtrise du jeu, plaisir d’immersion dans un univers virtuel, obtention de récompenses intermittentes… Le cocktail idéal pour développer une addiction chez des personnalités fragiles ou moins bien entourées ?