LA MUSIQUE ? UNE « SYMPHONIE » NEURONALE DANS LE CERVEAU !
Publié par Michel Naranjo, le 3 février 2021 2.8k
Cet article est écrit pour être utilisé dans l’animation d’un atelier ‘musique et sciences’ organisé par l’Association « Artsciences » de Clermont-Ferrand. Cet atelier conduit à la fabrication d’un accordéon en kit, puis à la réalisation d’une saynète ayant pour thème l’accordéon et à un mini concert.
Le son est la vibration mécanique d'un fluide. Sa propagation se présente sous la forme d'ondes longitudinales. Comme on s’intéresse à la musique, on considèrera que le fluide est l’air, et que la vibration renferme les caractéristiques musicales : mélodie, harmonie, et bien d’autres que l’on va découvrir…
Les auditeurs ressentent cette vibration grâce à l'ouïe. C’est une merveilleuse machinerie biologique qui transpose un phénomène physique : l’onde, en un signal électrique, intelligible pour le cerveau.
Dans cet article nous nous proposons de décrire :
- comment fonctionne le cerveau pour percevoir la musique et en jouer : poster 1,
- la partition musicale du chef d’un orchestre symphonique: poster 2,
- la mélodie et l’harmonie ainsi que la réduction pour piano : poster 2bis,
- les modes majeurs et mineurs et les accords.
Détail du poster 1 :
L’oreille est composée de trois grandes parties : l’oreille externe, l’oreille moyenne et l’oreille interne.
L’onde sonore passe à travers un conduit auditif dans une première membrane qui est le tympan. Celui-ci déplace mécaniquement trois osselets : le marteau, l’enclume et l’étrier. Ceux-ci permettent la transmission et l'amplification des vibrations sonores. Cet ensemble est aussi un véritable transformateur-adaptateur d'impédances qui assure une bonne amplification permettant à l'énergie sonore d'être transmise presque intégralement à l'oreille interne. L’étrier envoie ensuite les ondes sur une autre membrane en forme de colimaçon à l’intérieur de la cochlée. Tout au long de cette membrane, chaque fréquence prend une place spécifique et meut les cils qui y sont apposés. Ces cils font partie des cellules cillées qui sont au nombre de 15 000. Un son fait bouger un groupe de cils qui déclenche des signaux électriques , allant du nerf auditif vers le cerveau.
On passe donc d’une onde aux mouvements mécaniques, à l’impulsion électrique qui est analysée par le cerveau. Les canaux semi-circulaires sont responsables de la perception des mouvements de la tête dans trois dimensions. Ils occupent la plus grande partie de l' oreille interne. Chaque canal contient un liquide et des cils sensitifs reliés à des cellules réceptrices qui transmettent les informations au cervelet.
Le « cerveau musical » est un ensemble de régions qui réagissent à la musique en analysant les différentes composantes structurelles : la hauteur, l’harmonie, les rythmes, les timbres et les émotions qu’elles sollicitent.
- La hauteur sensibilise le cortex auditif primaire du côté droit, tandis que la mélodie et le rythme sensibilise le cortex auditif secondaire juste à côté du primaire (le cortex auditif gauche est associé au langage).
- L’harmonie concerne les régions du lobe frontal, loin de la région du cortex auditif.
- Le timbre et toutes les textures sonores activent des zones du lobe frontal.
Le système limbique est le centre de nos émotions. Il est en lien avec les autres parties du cerveau qui reçoivent les informations sensorielles.
- L’amygdale est l’élément central : c’est là que les composants émotionnels des informations sensorielles et sensitives sont interprétés. L’amygdale extrait la signification de ces informations et ébauche des réponses biologiques régulées par le cortex préfrontal.
- L’hippocampe : il joue un rôle dans la formation des nouveaux souvenirs d’évènements vécus, en détectant la nouveauté dans les stimuli. Il est notable que chaque personne ressent des émotions différentes en fonction de son histoire, de sa culture… Personne ne ressentira la même chose à l’écoute d’un même morceau.
Dans le poster 2, nous prenons en exemple la composition d’un orchestre symphonique dans la période classique comme celle de Beethoven et nous examinons la première page du premier mouvement de sa fameuse 5ème symphonie : POM POM POM POOOOM !
La mélodie (lecture horizontale) : elle est bien présente par une séquence de trois notes courtes identiques suivie d’une longue. Mais ici c’est une mélodie on ne peut plus simple (on verra qu’elle est plus complexe quelques mesures plus loin). La beauté est due au génie de Beethoven qui nous donne ici une cellule rythmique irriguant toute la symphonie ! Notons que le demi-soupir du début, qui force les musiciens à partir en contretemps, contribue à embellir le rythme ! Toujours à propos du rythme, le compositeur donne le tempo, ici allegro (108 battements de blanches par minute et quatre croches pour une blanche) ; le point d’orgue ponctue le mi bémol indiquant qu’on s’y attarde (à la discrétion du chef).
L’harmonie (lecture verticale) et les timbres (les instruments jouant simultanément):
'sol sol sol mi bémol' joué dans quatre octaves différentes selon leur tessiture.
Souvenons-nous qu’un son de n’importe quel instrument est très riche en harmoniques. Pour ‘le mi bémol’, la résultante est « une explosion » de fréquences :
38,9Hz 77,8Hz 155,6Hz 311,1Hz 622,3Hz 1 244,5Hz 2 489Hz 4978Hz, au-delà, même une excellente ‘oreille’ aurait du mal à les entendre !
Le compositeur donne également une indication de nuance par le ff (forte fortissimo). Notons que tous les instruments doivent être parfaitement accordés : par exemple les violoncelles jouant ce ‘mi bémol’ à 77,8Hz, l’harmonique 4 (311,1Hz) s’accorde avec la fondamentale des violons 1. Supposons qu’un des deux violoncelles soit mal accordé (par exemple 80Hz), son harmonique 4 produit des battements de près d’un demi ton avec l’ensemble des violons ; avec l’intensité ff les instrumentistes sont déstabilisés un court instant ainsi que leur chef : la détection de ces battements par le lobe frontal et préfrontal transmet cette mauvaise information au noyau accumbens qui sensibilisera le cervelet pilotant les gestes du musicien (revoir poster 1).
Le poster 2bis montre la même partition 60 mesures plus loin.
Une ligne mélodique est reprise trois fois ; d’abord par les 1er violons, puis les clarinettes, enfin simultanément par les flutes et les 1er violons. Bassons, cors, 2ème violons et altos contribuent à l’harmonie, pendant que les violoncelles et contrebasses reprennent la cellule rythmique du début.
Franz Liszt a composé une version pour piano de cette 5ème symphonie. En la comparant avec celle de l’orchestre, nous retrouvons les différents instruments sous les doigts de la main droite et de la main gauche du pianiste. En général la ligne mélodique, écrite en clé de sol, est jouée par la main droite et c’est le cas ici. La main gauche est affectée aux notes dévolues à l’harmonie, écrite en clé de fa ; lors de la première et troisième survenues du motif mélodique ‘si mi ré mi fa do do si’ les doigts de la main gauche reproduisent les notes : cors, violons 2, altos, nécessaires à l’harmonie mais qui deviennent des accords ici (les bassons aussi apparaissent aussi lors de la troisième répétition de la mélodie); lors de la deuxième, la cellule rythmique de départ est joué par les violoncelles et contrebasses, et comme le registre est très bas, il est pratique qu’elle soit exécutée à la main gauche, laissant aux doigts de la main droite de reprendre les accords.
Nous nous sommes intéressé à la lecture d’une partition ; examinons en maintenant son interprétation. Prenons un musicien installé devant sa partition. L’étape de départ consiste à lire les premières notes avant d’interpréter l’œuvre. Il voit des notes sur une portée (deux dans le cas du piano) qu’il doit associer à des sons et à un doigté pour générer les notes de l’instrument. Le signal visuel part des yeux, puis il est transformé en un signal électrique qui voyage le long du nerf optique vers le cortex visuel (revoir le poster 1). Des connections vont d’une part vers le cortex auditif et d’autre part vers le cortex moteur. Ces trois régions agissent en boucle de façon continue et coordonnée. Il faut aussi anticiper la lecture afin de s’assurer d’un bon phrasé, d’une bonne dynamique correspondant au jeu musical inspiré par la partition, et à la coordination de ses mains pour assurer le rythme adéquat. Des lignes directes sont mises à contribution en temps réel entre son oreille et les cortex moteur et sensorimoteur qui contrôlent les doigts impliqués. On doit ajouter une expression émotive, et là intervient tout le système limbique le long du signal électrique entre le cortex, les membres, les membres et les doigts du musicien.
Poster 3
Dans la 5ème symphonie de Beethoven, pourquoi ressent-on un effet aussi dramatique ? Ici il faut s’intéresser à la tonalité qui est en do mineur. Dans la culture occidentale, le mode mineur est associé à une ambiance triste, tandis que le mode majeur à un ton joyeux. Le cerveau les distingue avec exactitude grâce aux zones associées aux émotions. Ces deux modes s’expriment dans les gammes et les accord.
Chacun des degrés d’une gamme porte un nom, soit dans l’ordre ascendant :
Tonique, sus-tonique, médiante, sous-dominante, dominante, sus-dominante, sensible, puis la tonique à l’octave supérieur.
Dans une gamme en mode majeur la médiante et la sous-dominante sont espacées d’un demi-ton, soit entre le mi et le fa dans la gamme de do majeur, tandis qu’en mode mineur le demi-ton se trouve entre la sus-tonique et la médiante ; ainsi dans la gamme de do mineur le mi est abaissé d’un ½ ton par un bémol. A l’écoute les accords sonnent différemment !
On peut juger de cet effet en comparant deux partitions : ‘Les Feuilles mortes’ en mi mineur et ‘Jingle bells’ en do majeur.
Pour approfondir ces notions :
- Deux livres et l’interview du Professeur de neuropsychologie, Hervé Platel, donné au journal ‘le Monde Science et Médecine’ du 10 juillet 2019 : « La musique provoque une symphonie neuronale dans le cerveau ».
- « Le cerveau et la musique » de Michel Rochon : ‘Une odyssée fantastique d’art et de sciences’, édité par ‘MultiMondes’, 2018.
- « Les bienfaits de la musique sur le cerveau » d’Emmanuel Bigand, Belin éditeur, 2018.